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Armée dun magnétophone et dun stylo, Svetlana Alexievitch, avec une acuité, une attention et une fidélité uniques, sacharne à garder vivante la mémoire de cette tragédie qua été lURSS, à raconter la petite histoire dune grande utopie. Le communisme avait un projet insensé : transformer lhomme «ancien», le vieil Adam. Et cela a marché
En septante ans et quelques, on a créé dans le laboratoire du marxisme-léninisme un type dhomme particulier, lHomo sovieticus. Cest lui quelle a étudié depuis son premier livre, publié en 1985, cet homme rouge condamné à disparaître avec limplosion de lUnion soviétique qui ne fut suivie daucun procès de Nuremberg malgré les millions de morts du régime. Dans ce magnifique requiem, lauteur réinvente une forme littéraire polyphonique singulière, qui fait résonner les voix de centaines de témoins brisés. Des humiliés et des offensés, des gens bien, dautres moins bien, des mères déportées avec leurs enfants, des staliniens impénitents malgré le Goulag, des enthousiastes de la perestroïka ahuris devant le capitalisme triomphant et, aujourdhui, des citoyens résistant à linstauration de nouvelles dictatures
Sa méthode : Je pose des questions non sur le socialisme, mais sur lamour, la jalousie, lenfance, la vieillesse. Sur la musique, les danses, les coupes de cheveux. Sur les milliers de détails dune vie qui a disparu. Cest la seule façon dinsérer la catastrophe dans un cadre familier et dessayer de raconter quelque chose. De deviner quelque chose... Lhistoire ne sintéresse quaux faits, les émotions, elles, restent toujours en marge. Ce nest pas lusage de les laisser entrer dans lhistoire. Moi, je regarde le monde avec les yeux dune littéraire et non dune historienne.
À la fin subsiste cette interrogation lancinante : pourquoi un tel malheur ? Le malheur russe ? Impossible de se départir de cette impression que ce pays a été lenfer dune autre planète. |